dimanche 13 novembre 2011

Rose : la couleur de la révolte ! - épisode 3

Apollon (Parnassius apollon) sur Chardon des champs (Cirsium arvense).
Épisode 1
Épisode 2

Les membres du tribunal entrent et prennent place sous un tohu-bohu digne d'un carnaval de hooligans brésiliens. 

Le juge, irrité :
"Bien, commençons : ce procès a pour objet de juger les faits relatifs à la plainte pour diffamation déposée par le responsable du COSAC (Comité Officiel des Scientifiques Annihilateurs de Controverses), procureur en l’occurrence, à l'encontre de Robin des champs, généralement reconnu comme meneur de la troupe des Chardons rebelles. Le COSAC reproche à ce Robin ses allégations quant à sa prétendue utilité en faveur de la biodiversité. La parole est à l'accusation !"

Procureur du COSAC, condescendant :
"Alors comme ça, Môssieur prétend que les Chardons, ces infâmes détrousseurs d'engrais, ces horreurs angoissantes qui résistent à nos meilleures armes chimiques seraient des plus utiles à la biodiversité ! Balivernes ! Quelle abeille, quel insecte accorderait la moindre importance à si répugnantes plantes. Et fi de vos belles paroles, nous voulons des preuves !"

Robin des champs, feignant le dépit :
"Ah, mais que n'ai-je donc pas accompli pour ne mériter que ces pitres atrabilaires, ces adversaires inaptes à toute attaque dotée d'une once de finesse, ces ignorants incapables de constater l'évidence... A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! Je..."

Procureur du COSAC, enragé, les yeux dilatés :
"Assez ! Obsolète arrogant ! Répondez si vous le pouvez !"

Le juge, déjà lassé de la débauche de rhétorique :
"Oui, au fait ! Arrêtez vos digressions et allez droit au but. Et cela vaut aussi pour les rédacteurs de ce blog !"

Robin des champs, comme si de rien n'était :
"Comme je le disais, donc, M. le Juge, s'il est bien une évidence, c'est que mes corolles sont gorgées de nectar. Il n'y a qu'à se poster devant ma chevelure sans trop s'agiter : les butineurs en tous genres s'y précipitent. Les plus beaux papillons, les abeilles de ruches ou les solitaires, les élégantes guêpes, les syrphes bariolées, les coléoptères aux reflets irisés, la liste est trop longue."

Procureur du COSAC, les muscles du visage tordus de grimaces moqueuses et outrées :
"Ça déblatère, ça jacte, ça baragouine ! Mais les preuves, hein? Vous en avez, oui ou non?"

Robin des champs, brandissant une image :
" Voici ma première preuve : une abondante iconographie photographique. Le tuyau est bien connu des photographes qui ne se privent pas de nous shooter en pleine offrande. Oh ! Rassurez-vous, nous ne cherchons pas la gloriole ni la chaleur des flashes.
D'ailleurs, nous savons bien que nous ne sommes pas le sujet visé. Il s'agit plutôt de l'insecte qui sirote le nectar que nous dispensons généreusement, tous les jours. Bien plus, en tous cas, que certaines de ces fleurs "civilisées", ces horticoles issues de croisements, d'hybridations ou tout simplement exotiques. Ces mijaurées ne pensent qu'à paraître, qu'à s'occuper de leur apparence extérieure.
Mais tout cela est vain : bien souvent, elles dépensent toute leur énergie à produire des pétales plus grands ou à les doubler, les tripler voire plus. Tout cela afin d'attirer et charmer le plus grand nombre d'insectes comme autant de trophées. Malheureusement pour ces derniers, l'énergie manque pour la fabrication du nectar et ils repartent souvent déçus et frustrés, au mieux le ventre vide ! Quelle vacuité, on en met plein la vue mais c'est pour cacher le manque de sens, de matière, de sincérité. Un peu comme à la télévision ou en politique. Alors que..."

Procureur du COSAC, ravi de son intervention :
"Objection, votre honneur ! Hors sujet ! Ce n'est pas le procès des horticoles ! Qu'il nous montre plutôt  cette photographie !

Le juge, acquiesçant:
"Certes, arrêtez de gesticuler et montrez-nous cela calmement."



Robin des champs ; coup de taille :
"Avec plaisir ! Voyez-donc : ceux qui gouttent notre breuvage y reviennent et le bouche-à-oreilles fait son œuvre. Pas moins de 4 hyménoptères simultanément sur un cousin à moi, Carduus nutans, dont la taille et la beauté de la fleur n'ont rien à envier aux horticoles précitées, soit dit en passant !"

Le public atteste par quelques murmures empressés.

Procureur du COSAC, sentant monter la pression :
"Mystification ! Manipulations grossières ! C'est un trucage !"

Robin des champs ; coup d'estoc :
"Regardez-y bien M. le Juge, ces insectes affairés sont totalement indifférents aux sirènes de la célébrité et se détournent complètement des flashes et projecteurs. Pas de temps pour la figuration. La récolte est inespérée pour ces modestes et honnêtes ouvrières sans le sou, surtout en zone de cultures intensives ou de parc horticole minimaliste ! Seul leur importe de vider les corolles de mon cousin. C'est parfaitement crédible et véridique.
J'ai d'ailleurs ici le rapport d'un expert photographique qui estime la distance  maximale entre le photographe et son sujet à 30 cm ! Si les corolles n'avaient pas été attractives, vous pouvez être sûrs que les insectes auraient remarqué le gêneur et (pointant subitement les deux index vers le procureur) décampé dard-dard. Euh, pardon, dare-dare !"

La salle et le juge se fendent de rire.

Procureur du COSAC, désarçonné :
"M'enfin ! Je... Non ! Vous ne pouvez pas..."

Robin des champs ; coup de grâce :
"Et pour anticiper la remarque que vous peinez à formuler, cher M. le Procureur, voici bien d'autres constatations photographiques qui permettront de lever l’ambiguïté. Il ne s'agit pas d'un cas isolé. Voyez plutôt..."

Procureur du COSAC, feignant un malaise:
"Ahhh ! Mon cœur s'emballe, je m'évanouis !"

Le procureur s'effondre avec ostentation. La houle de la colère publique défrise les perruques de tous les membres du jury.

Le juge, tapant sur la table :
"Silence ! La séance est levée ; nous reprendrons dans une semaine et vous nous montrerez ces preuves supplémentaires !"

A suivre...

Guillaume.

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